Depuis plusieurs décennies, les maladies non transmissibles (MNT) — dont les cardiopathies, le diabète, certains cancers, les maladies respiratoires chroniques — représentent la charge majeure de morbidité et mortalité prématurée dans le monde. Des engagements internationaux (Objectifs de Développement Durable, promesses OMS…) ont fixé des cibles ambitieuses pour réduire la mortalité prématurée due aux MNT.
Pourtant, malgré des progrès dans de nombreuses régions, l’étude récente publiée dans The Lancet montre une stagnation, voire des reculs dans certains contextes, entre 2010 et 2019. Il est impératif de comprendre pourquoi l’élan s’essouffle pour pouvoir remettre les actions sur les rails.
Publication d’une étude sur l’évolution des maladies non transmissibles
D’après l’analyse couverte par les données de l’OMS (calculées pour 185 pays), voici les résultats clés :
- De 2010 à 2019, la probabilité de mourir d’une MNT avant 80 ans a diminué dans la majorité des pays (≈ 80 %) pour les hommes et les femmes.
- Toutefois, par rapport à la période 2001-2010, les améliorations sont globalement plus faibles pour presque la moitié des pays, selon le sexe.
- Le rythme des progrès ralentit, les pays industrialisés à revenus élevés sont particulièrement concernés
- Les maladies cardiovasculaires ischémiques et les AVC apparaissent comme les principaux contributeurs aux gains (réductions de mortalité), pour la plupart des pays.
- En revanche, certains cancers (pancréatiques, hépatiques), les troubles neuropsychiatriques (ex. Alzheimer, démence, troubles liés à l’alcool), et le diabète montrent des trajectoires préoccupantes, compensant parfois les gains dans d’autres domaines.
- L’âge joue un rôle critique : les améliorations chez les personnes de ≥ 65 ans sont déterminantes ; là où la mortalité chez les aînés ne baisse pas, l’effet global sur la mortalité prématurée est moindre, voire la probabilité de décès augmente.
Evolution des maladies non transmissibles en France
La France subit elle aussi ce ralentissement.
Data quality | 2001 | 2010 | 2019 | Changement 2001-2010 (points de %) | Changement 2010-2019 (points de %) |
---|---|---|---|---|---|
Medium | 26,8 % | 21,1 % | 19,5 % | −3,9 | −1,5 |
Les principaux freins identifiés — au-delà des évidences
L’étude met en lumière plusieurs obstacles bien connus, mais aussi des dynamiques moins discutées :
Couverture d’interventions éprouvées saturée ou inégale
Beaucoup de progrès des années 2000 ont reposé sur des interventions classiques : lutte contre le tabac, amélioration de la prise en charge des maladies cardiovasculaires, campagnes de dépistage de certains cancers. Mais ces interventions atteignent des plateaux, particulièrement dans les pays à revenus intermédiaires et élevés, où il reste des zones de pauvreté ou de marginalisation non adressées.
Contrainte budgétaire et priorisation
La récession mondiale fin des années 2000, ainsi que les crises économiques ou politiques récentes, ont comprimé les ressources publiques. Les gouvernements sont confrontés à des arbitrages : dépenses curatives vs prévention, besoins des soins primaires vs spécialité, ou encore santé vs autres secteurs (éducation, infrastructure). Ces arbitrages impactent lourdement la capacité à maintenir ou étendre les interventions efficaces.
Nouvelles menaces épidémiologiques et transitions sociales
- Montée des troubles neuropsychiatriques, maladies liées à l’exposition chronique (ex. pollution, alimentation ultra-transformée), addictions, etc.
- Transitions démographiques : vieillissement de la population, urbanisation rapide, modes de vie sédentaires.
- Inégalités internes fortes : entre régions d’un même pays, entre classes sociales, entre populations rurales et urbaines.
Données de mortalité et qualité de l’enregistrement
L’étude souligne que beaucoup de pays, notamment à revenus faibles ou intermédiaires, ont des données de faible qualité ou peu fiables sur les causes de décès. Cela rend difficile la détection de tendances réelles, d’où une incertitude qui peut freiner la prise de décision fondée sur l’évidence.
Les angles morts sous-explorés
Au-delà des freins déjà identifiés, voici quelques pistes moins discutées, mais cruciales pour aller au-delà du statu quo :
Santé numérique : promesse vs réalité
- Trop souvent, les innovations numériques sont focalisées sur le dépistage, le monitorage, ou l’éducation plutôt que sur le changement comportemental profond, l’intégration dans les systèmes de santé, ou la pérennité des effets.
- Le risque de fracture numérique : l’accès aux technologies, aux compétences numériques, à l’infrastructure (internet, appareils), reste inégal, ce qui peut aggraver les inégalités.
Incitations et régulation : limiter les facteurs de risque à la source
- Plusieurs acteurs appellent à mieux réguler l’industrie alimentaire, les publicités d’aliments malsains et les environnements favorisant la sédentarité
- La fiscalité comportementale est également proposée par plusieurs acteurs. Voir notre article sur l’efficacité de ce type de mesures.
Viser les comportements de santé pour lutter contre les maladies non transmissibles
- Beaucoup de programmes de prévention reposent encore sur l’information/éducation, mais cela ne suffit pas pour changer des comportements ancrés dans des contextes (culturels, socio-économiques).
- Les concepts comme les nudges, l’architecture de choix, les déterminants sociaux et psychologiques nécessitent d’être mieux intégrés dans les politiques globales.
Suivi en temps réel & apprentissage systémique
L’étude évoque l’idée d’un « système de santé d’apprentissage » : un cadre régulier, agile, qui permet de monitorer, d’évaluer, de corriger les actions de santé publique selon les données actuelles. Cela suppose :
- Mise en place d’indicateurs robustes, comparables, internationaux
- Partage des meilleures pratiques entre pays, régions
- Capacité financière, logistique et politique de réagir rapidement quand les signaux négatifs apparaissent
Conclusion
L’étude du Lancet fournit des signaux d’alerte : malgré des progrès, nous sommes à un moment charnière où beaucoup de gains semblent atteints, mais où le risque est celui du plafonnement, voire du recul dans certaines régions ou pour certaines maladies. Ce constat n’est pas dénué d’espoir : il met en lumière les leviers qui n’ont pas encore été pleinement mobilisés.
Pour ne pas rester dans l’ornière, il faudra conjuguer innovation, équité, régulation et une gouvernance agile. Autrement, les cibles mondiales de réduction de la mortalité prématurée resteront pour beaucoup un plan sur papier plutôt qu’une réalité vécue.