Comment mesurer concrètement ce que l’activité physique évite, économise ou transforme ? Alors que les données probantes en matière de santé en France font débat, la fin 2025 marque une rupture silencieuse dans la recherche sur l’activité physique et les maladies chroniques.
Jusqu’ici, la majorité des études observaient les effets “classiques” : amélioration cardio-métabolique, baisse du risque de mortalité, hausse de la qualité de vie. Les études publiées récemment abordent un angle rarement traité : comment mesurer, quantifier et projeter le “fardeau évité” grâce aux comportements santé. Elles ont ainsi fournit des résultats sur :
- La quantification précise du fardeau de morbidité évitable,
- Le suivi des trajectoires d’activité sur 10 ans,
- La mesure des coûts de santé réels,
- L’effet des interventions numériques seules (standalone).
Ce changement est crucial : il déplace la prévention du registre “généraliste” vers une méthodologie d’impact, proche de l’économie de la santé et de la modélisation populationnelle.
L’étude espagnole GO fit : la première estimation robuste du “fardeau évité” à l’échelle d’un réseau national
(Jimenez et al., 2025, Frontiers in Sports and Active Living)
L’étude espagnole apporte un élément rarement documenté : une quantification directe des années de vie ajustées sur l’incapacité (AVAI) évitées grâce à l’adhésion à un grand centre de loisirs. Ces résultats sont particulièrement importants car ils rappellent que les effets préventifs se diffusent sur des maladies multiples, en particulier celles liées aux trajectoires d’activité à long terme.
Résultats clés
Le réseau GO fit, via ses programmes d’activité physique, aurait permis d’éviter en 2017 :
- 1 165,7 AVAI au total
soit 10,96 AVAI évités pour 1 000 membres.
Répartition par pathologie :
- Maladies coronariennes : 807 AVAI évités
- AVC : 206
- Diabète de type 2 : 22,6
- Cancers colorectal : 81,2
- Cancer du sein : 48,7
Ce que cette étude apporte
Cette étude introduit une manière nouvelle d’évaluer les services d’activité physique : non pas sur ce qu’ils produisent, mais sur ce qu’ils évitent.
- Un rapport bénéfice–coût directement mesurable, contrairement à la majorité des interventions françaises d’évitement des MNT.
- Une vision systémique, puisque l’effet n’est pas limité à une pathologie mais à un ensemble cohérent de maladies évitables.
- Un modèle organisationnel : les centres de loisirs, lorsqu’ils combinent équipements, coaching et parcours guidés, génèrent un niveau d’impact rarement atteint par les dispositifs purement numériques.
La France en retard sur les analyses coût-bénéfice
Alors que ce type d’analyse est courant en Espagne, au Royaume-Uni ou au Danemark, seules 2 à 4 études françaises par an produisent des analyses coût-bénéfice robustes sur l’activité physique — et aucune n’intègre les AVAI à cette échelle populationnelle.
En termes de politique publique, cela rapproche la prévention du modèle des analyses coûts-bénéfices macroéconomiques (type NICE), rarement appliqué aux services d’activité physique.
Trajectoires d’activité sur 10 ans et coûts de santé : la tendance sur 10 ans plutôt que le seuil de pratique de l’OMS
(Codogno et al., 2025, Journal of Physical Activity and Health)
Cette étude analyse, au lieu d’observer l’activité physique “à un instant t”, de suivre des trajectoires latentes sur 10 ans.
Quatre trajectoires identifiées
- Faible (stagnation à bas niveau)
- Modérée (diminution légère)
- En baisse forte
- Élevée (maintien à haut niveau)
Les résultats les plus structurants
Les résultats montrent une chute générale de l’activité physique dans tous les groupes, mais surtout que la trajectoire elle-même prédit les coûts de santé, bien plus que le niveau ponctuel.
L’évitement des MNT dépend pas seulement de la quantité d’activité, mais de la stabilité comportementale.
Une baisse rapide de l’activité physique sur 2-3 ans détruit en grande partie les bénéfices accumulés, ce qui explique pourquoi de nombreuses politiques françaises, fondées sur des interventions ponctuelles, peinent à produire un impact durable.
À haut niveau de dépense (90e percentile), les réductions atteignent :
- 48 % (« Modéré »)
- 55 % (« Élevé »)
Par rapport au groupe « Faible », les coûts médicaux :
- diminuent de 26 % dans le groupe « Modéré »
- diminuent de 43 % dans le groupe « Élevé »
- explosent dans le groupe « En baisse » (+54 % de perte d’activité)
États-Unis : l’insuffisance d’activité physique coûte 192 milliards de dollars par an
(Matjasko et al., 2025, American Journal of Health Promotion)
Cette étude actualise les estimations historiques de Carlson (2015) et souligne que l’activité physique possède un effet économique indépendant, même en population hétérogène.
L’étude contrôle :
- obésité
- tabagisme
- statut socio-économique
- région, assurance
- difficultés de marche
Principaux résultats
Sur 76 016 participants, les auteurs montrent :
Dépenses de santé annuelles
- Adultes actifs : base de référence
- Insuffisamment actifs : + 1 355 $/an
- Inactifs : + 2 025 $/an
Poids économique national
→ 12,6 % des dépenses annuelles de santé aux États-Unis
→ 192 milliards de dollars par an imputables à l’insuffisance d’activité aérobie
Pourquoi cette étude est essentielle pour l’Europe ?
Les approches européennes sont souvent centrées sur les maladies chroniques ou les parcours de soins, mais très peu publient des équivalents de coût par trajectoire d’activité.
Cette étude démontre que :
- le coût de l’inactivité est plus élevé que celui de l’hypertension non traitée,
- et équivalent au coût annuel du diabète de type 2 dans plusieurs pays européens.
Coté Français
La France n’a jamais publié d’équivalent de coût global annuel de l’inactivité.
Les données les plus proches datent de plus de 10 ans et ne sont plus méthodologiquement alignées avec les standards internationaux (MEPS, NHIS, NHS England).
DBCI standalone (interventions numériques isolées) : un effet réel mais modéré
(Lee & Park, 2025, npj Digital Medicine)
La méta-analyse de Lee & Park (2025) publiée dans npj Digital Medicine analyse 18 essais randomisés sur les interventions numériques autonomes (sans coaching humain).
Améliorations observées
- Activité physique : SMD = 0,324 (effet faible mais réel)
- Indicateurs corporels : SMD = 0,269
Résultats clés
Les interventions purement numériques :
- génèrent trois fois moins de bénéfices que les parcours hybrides. L’impact est réel mais modéré, et largement inférieur aux interventions combinées (centres de loisirs, coaching, programmes hybrides)
- sont souvent abandonnées avant 6 semaines
- sont les moins efficaces pour les personnes en trajectoire descendante d’activité
Cela signifie que la majorité des apps et dispositifs numériques actuels sont structurellement inadaptés aux populations les plus à risque — un point central mais rarement évoqué par les politiques publiques
Contrairement à la croyance répandue, les solutions numériques seules fonctionnent, mais faiblement — car elles ne modifient ni le contexte ni les routines sociales. Cela rejoint les conclusions internationales sur les interventions complexes : un changement comportemental durable requiert plusieurs leviers simultanés, dont le numérique n’est qu’un composant.
Transposition aux comportements de santé mentale
Les méta-analyses récentes en santé mentale montrent des résultats analogues :
Les interventions autonomes (ex : auto-aide numérique) ont des effets modestes (SMD ≈ 0,20-0,30), alors que les approches hybrides (accompagnement humain + numérique) doublent l’efficacité.
C’est exactement le modèle observé en activité physique.
Conclusion
Vers une économie du “fardeau évité”
Les quatre études de 2025 ouvrent une voie rarement discutée : intégrer le fardeau évité dans les politiques publiques et les parcours prévention.
Cette approche présente trois avantages scientifiques :
- Mesurabilité : AVAI, trajectoires latentes, coûts réels.
- Comparabilité internationale.
- Lien direct avec l’économie de la santé.
Comparatif de l’efficacité des interventions et programmes visant l’activité physique
Les quatre études convergent :
– On ne « fait pas aimer » l’effort.
- On construit des conditions environnementales qui rendent l’effort moins coûteux, plus guidé, plus gratifiant.
Quelles interventions réussissent réellement ?
Les données des quatre travaux indiquent que les approches les plus efficaces sont :
| Type d’intervention | Impact observé | Preuves |
| Centres hybrides + programmes guidés | Jusqu’à 1 165 AVAI évités + réduction multimaladies | GO Fit (2025) |
| Trajectoires modérées ou élevées | Réduction des coûts de 26 à 55 % | Codogno (2025) |
| Interventions numériques autonomes | Gains modestes (SMD ≈ 0,32) | Lee & Park (2025) |
| Politiques populationnelles (US) | 192 milliards $ imputables à l’inactivité | Matjasko (2025) |
FAQ
Peut-on prédire les coûts de santé à partir des comportements ?
Oui : l’étude brésilienne et l’étude américaine montrent que l’activité physique a un effet économique indépendant, mesurable et prédictif.
Les centres de loisirs peuvent-ils réellement réduire les maladies chroniques ?
Oui. L’étude GO Fit (2025) montre qu’un seul réseau de centres a permis d’éviter plus de 1 165 AVAI en 2017.
Une app d’activité physique suffit-elle à changer durablement le comportement ?
Non. Les interventions numériques autonomes n’ont qu’un effet modéré (SMD = 0,32). Les interventions hybrides sont largement supérieures.
Combien coûte l’inactivité physique ?
Aux États-Unis, elle représente 12,6 % des dépenses de santé, soit 192 milliards $/an (Matjasko, 2025). Des estimations équivalentes n’existent pas en France.
Pourquoi les trajectoires d’activité comptent plus que la quantité ?
Parce que la stabilité comportementale sur >5 ans prédit mieux les coûts de santé que le niveau d’activité ponctuel (Codogno, 2025).
Peut-on transposer ces données à la santé mentale ?
Oui : les interventions hybrides y sont également 2 à 3 fois plus efficaces que les interventions autonomes.
Bibliographie
Jimenez, A., et al. (2025). Estimation of the burden of disease averted by leisure center membership across Spain. Frontiers in Sports and Active Living, 7. https://doi.org/10.3389/fspor.2025.1575583
Codogno, J., et al. (2025). Primary Health Care Costs Associated With Trajectories of Physical Activity Over 10 Years. Journal of Physical Activity and Health, 1(aop), 1-8. https://doi.org/10.1123/jpah.2025-0047
Matjasko, J. L., et al. (2025). Inadequate Aerobic Physical Activity and Healthcare Expenditures in the United States: An Updated Cost Estimate. American Journal of Health Promotion. https://doi.org/10.1177/08901171251357128
Lee, S.-A., & Park, J.-H. (2025). Systematic review and meta-analysis of standalone digital behavior change interventions on physical activity. npj Digital Medicine, 8(1), 436. https://doi.org/10.1038/s41746-025-01827-4



