Les 4 capacités stratégiques du système de santé

Le paysage de la santé française va-t-il changer ? Alors que la gestion de la crise COVID reste d’actualité et que le Ségur de la santé a été lancé le 25 mai dernier, les publications actant une révolution à venir pullulent depuis quelques mois. Rien n’est cependant moins sûr. Car sans modification structurelle de notre conception du soin, ou à minima du parcours de soins, le Ségur de la santé risque bien de se limiter à une enveloppe financière pour les soignants ainsi qu’à des directions, d’intentions ou d’investissements, pour les autres secteurs.

La question de la capacité française à faire face à autant de malades sur une courte période n’a échappé à personne pendant la crise du COVID19. Pourtant, un autre danger, qui mobilise les spécialistes depuis une dizaine d’années, s’est imposé dans la conscience collective : les maladies liées aux habitudes de vie happeront des millions de personnes, dont des millions de Français, dans les établissements de soins. A la clé : une saturation qui se comptera en années et non plus en mois pour les établissements de soins, sans compter la saturation en période de crise.  

Plus que la capacité à faire face aux urgences sanitaires, c’est toute la hiérarchie des capacités stratégiques de notre système de santé actuel qui est à revoir. Mais c’est aussi notre conception du soin.

Les 4 capacités stratégiques de notre système de santé

Aujourd’hui fondé sur un système curatif, le modèle de santé Français doit répondre à quatre capacités stratégiques :

– La capacité à soigner en cas de crise :

Capacités matérielles et de personnel, conditions d’accueil et de travail… qui concerne aussi bien dans les hôpitaux que pour les soignants dans leur ensemble (médecins, urgentistes, infirmiers, …).

– La capacité à prévenir la propagation des maladies :

Lavage des mains, port de masques, distanciation physique (et non sociale) … en faisant adhérer rapidement et efficacement mais aussi en informant de façon sure et fiable. 

– La capacité à amener le suivi à domicile :

Maintien des soins pour les confinés, maintien du suivi des patients, maintien du contact social…  Les patients chroniques et leur décrochage des soins ont fait l’objet d’alertes appuyées des professionnels de santé.

–  La capacité à réduire et limiter les facteurs de risques ainsi que le nombre de malades graves, à court terme comme à long terme :

Près de 20 millions de Français pourraient développer des symptômes graves avec le COVID19 selon une communication du Conseil Scientifique en date de mai 2020. Si le caractère protéiforme des symptômes rend l’identification certaine des facteurs de risque difficile, il n’a fait que souligner ce que nous savions déjà : l’épidémie de maladies liées aux habitudes de vie (obésité, maladies cardiovasculaires, hypertension artérielle…) nous rend encore plus vulnérables à de nouvelles épidémies de type COVID19. Ces maladies devraient exploser d’ici 2030. Le nombre de personnes en ALD devrait à lui seul doubler d’ici là.

La fin du tout curatif ?

Si le COVID19 n’a pas fait apparaître de nouvelle capacité stratégique, c’est une véritable inversion des priorités qui se dessine si l’on prend toute la mesure de l’épidémie actuelle : sortir du prisme curatif.

Ne plus attendre la maladie pour agir en d’autres termes, mais aussi adopter une véritable logique préventive traitant les facteurs de risques et les habitudes de vie. Car aucun investissement ne permettra à la France de faire face à 20 millions de malades (en estimation basse), si ce n’est une transformation profonde du système de santé.

Si la prévention était jusqu’alors la piste privilégiée sur le sujet, elle atteint aujourd’hui un plafond de verre, dans sa forme actuelle, qui ne permettra pas de faire face à cette urgence sanitaire. Une transition est nécessaire, et elle implique des modifications structurelles et culturelles en matière de :

– Conception du soin
– Redistribution du rôle des acteurs publics et privés en matière de santé

Une redistribution des rôles à prévoir

2e inversion culturelle relative aux capacités stratégiques du système de santé et à laquelle il faudra répondre rapidement : l’entrée involontaire des acteurs privés dans la capacité stratégique à réduire et limiter les facteurs de risques.

Alors que ces derniers (entreprises, assurances, fondations, laboratoires…) n’auraient dû être concernés en leur qualité d’employeurs et d’acteurs économiques qu’en matière de prévention (limitation de la propagation) et de QVT, ils se retrouvent désormais concernés par aux moins deux autres capacités stratégiques :

  • Prévenir / réduire les facteurs de risque, notamment ceux liés au télétravail et à la sédentarité,
  • Amener le suivi à domicile.

Dernière redistribution des rôles : celle de la place de l’usager dans la maîtrise de son propre parcours de santé (et non de soins). Outre la gestion administrative et la maîtrise de ses données, c’est bien la fin de la réappropriation de la prise en main de sa santé qui est en jeu. C’est aussi une bascule du lieu principal de « soins », de l’établissement médicalisé vers le domicile.

Le digital pour répondre à cette nouvelle hiérarchie des capacités stratégiques ?

Ces derniers mois ont accéléré l’essor de solutions digitales, avec pour figure de proue la  téléconsultation. Or, cette tendance, nécessaire, ne peut pas répondre à la nouvelle hiérarchisation des capacités stratégiques de notre système de santé, car elle ne fait que dématérialiser le système curatif.

D’autres mesures, complémentaires et répondant à l’urgence des maladies liées aux habitudes de vie, doivent être prises.

L’avènement de l’ère du télétravail, annoncée après le déconfinement, fera peser de plus en plus lourd sur les entreprises la responsabilité/ capacité à prévenir et à protéger leurs collaborateurs. Plus que la QVT, c’est désormais la santé en elle-même qui devra s’inscrire dans leur agenda.