Alors que le PLFSS 2026 met la prévention renforcée au cœur de ses priorités et que les expérimentations numériques comme Mon Espace Santé (MES) se multiplient, la question devient stratégique : peut-on prévenir efficacement l’entrée dans la maladie chronique sans transformer nos comportements, dès l’enfance ?
Les récentes publications scientifiques convergent : pour inverser la tendance des maladies non transmissibles, il faut agir avant l’apparition de la pathologie, et réapprendre à ancrer les bons comportements. Mais entre les ambitions politiques et les preuves de terrain, un fossé persiste. Retour sur les résultats obtenus en France et en Europe.
PLFSS 2026 : des parcours coordonnés qui misent (enfin) sur la prévention
La proposition du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2026 (PLFSS) marque une inflexion majeure : la prévention devient une ligne de financement structurée.
L’objectif est clair : éviter l’entrée en affection de longue durée (ALD) par des parcours coordonnés renforcés.
Ce nouveau dispositif inclut un panier de soins de prévention intégrant :
- l’accompagnement à l’activité physique adaptée,
- la nutrition et la diététique,
- le soutien psychologique,
- et l’éducation thérapeutique.
Cofinancé par l’Assurance maladie et les complémentaires santé, il vise à couvrir les “angles morts” du système : ces prestations souvent décisives pour éviter les maladies mais rarement remboursées.
La Haute Autorité de Santé (HAS) précisera les critères médicaux et les pathologies concernées.
Cependant, les expériences précédentes — en France comme à l’international — montrent que sans mécanismes motivationnels et environnementaux, ces parcours risquent de rester théoriques. Les neurosciences comportementales l’ont démontré : le passage à l’action ne découle pas d’une information mais d’un contexte propice et d’un renforcement immédiat (Lally et al., Health Psychology Review, 2022).
Mon Espace Santé : un outil prometteur mais encore cognitif, pas comportemental
L’expérimentation nationale 2024–2025 menée auprès de patients atteints de diabète, maladie de Parkinson et insuffisance rénale confirme une adoption encourageante :
- 1 patient sur 2 se connecte au moins une fois par semaine,
- 80 % ont une bonne maîtrise du numérique,
- la satisfaction moyenne atteint 3,8/5,
- et la quasi-totalité souhaite continuer à l’utiliser.
Mais derrière ces chiffres, l’impact comportemental reste limité. MES est utilisé principalement comme espace documentaire — ordonnances, résultats, vaccins — et non comme un levier d’autonomie ou de changement de comportement.
Les fonctions de prévention active (rappels, auto-questionnaires, suivi d’activité) demeurent marginales.
Cela reflète un biais cognitif bien connu : la plateforme sollicite le cerveau rationnel, mais n’active ni la motivation ni la gratification — deux moteurs essentiels du changement durable (Dolan et al., Behavioral Public Policy, 2023).
Europe : trois modèles, trois philosophies du numérique santé
Pays | Modèle | Approche dominante | Résultats observés |
---|---|---|---|
Allemagne – ePA | Intégration assurantielle forte | Centrée sur la donnée et la conformité RGPD | Adoption lente (<15 %), complexité d’usage, faible appropriation. |
Danemark – MinSundhed | Portail unifié et incitatif | Prévention intégrée, rappels automatiques, pédagogie | Taux d’usage >80 %, satisfaction élevée, confiance forte. |
Finlande – Kanta.fi | Dossier partagé national | Couplé à la prévention et à l’éducation thérapeutique | 90 % d’adoption, usage intensif dans les maladies chroniques. |
France – MES | Déploiement rapide et centralisé | Focalisé sur l’archivage, peu interactif | Usage croissant mais encore transactionnel. |
En conclusion, il faut rendre la santé numérique intuitive, gratifiante et connectée à la vie quotidienne, non pas seulement à l’administration des soins.
Les solutions numériques chez les jeunes : promesses sous conditions
Les dispositifs numériques (apps de fitness, montres connectées, plateformes d’activité) sont souvent présentés comme la solution miracle à l’inactivité infantile. Mais la recherche scientifique nuance cet enthousiasme.
Une méta-analyse de 28 essais randomisés (5 643 enfants et adolescents) montre que les interventions mobiles améliorent l’activité physique totale (SMD = 0,29) et réduisent la sédentarité (SMD = –0,97), mais les effets restent modestes sur la condition cardiorespiratoire et la motricité globale (Frontiers in Public Health, 2024).
Autrement dit : les jeunes bougent un peu plus, mais sans changement profond de comportement.
Les effets les plus durables apparaissent lorsque la technologie est intégrée à un environnement humain : école, famille, pair aidant — et non utilisée seule (Lopez et al., JMIR mHealth and uHealth, 2023).
Les dispositifs isolés souffrent d’un effet de nouveauté : une adhésion initiale forte, puis un abandon rapide.
Chez les adultes, la littérature est plus favorable : les interventions numériques combinant feedback personnalisé, objectifs graduels et renforcement social entraînent une amélioration significative et durable de l’activité physique et de la santé métabolique (Nature Digital Medicine, 2025).
Leçons des neurosciences comportementales
Les biais cognitifs à surmonter sont universels, quel que soit l’âge :
- Biais de l’effort perçu : si l’action semble complexe, le cerveau choisit l’inaction.
- Biais d’optimisme : “Je vais bien, donc je n’ai pas besoin d’agir.”
- Biais de gratification différée : les bénéfices de la prévention sont trop lointains.
- Biais social : on adopte plus facilement un comportement si son entourage le partage.
Pour que la santé numérique tienne ses promesses, il faut concevoir des outils qui contournent ces biais : simplicité, feedback immédiat, reconnaissance sociale et sentiment d’auto-efficacité.
Conclusion
Entre le PLFSS 2026, les carnets numériques européens et les innovations en e-santé, la France avance dans la bonne direction : celle d’une prévention proactive et coordonnée.
Mais pour qu’elle réussisse, il faut franchir le dernier kilomètre : transformer les outils en leviers de comportements durables.
La technologie ne suffira pas. Ce sont les sciences comportementales — appliquées à la conception, à la motivation et à l’équité d’usage — qui feront la différence entre un système préventif performant et une promesse de plus.
FAQ
1. Mon Espace Santé améliore-t-il vraiment la prévention ?
Les études pilotes montrent une adoption prometteuse, mais un impact comportemental limité. L’outil reste majoritairement utilisé comme espace documentaire. Son potentiel dépendra de sa capacité à générer de la motivation et du feedback comportemental.
2. Pourquoi les pays nordiques réussissent-ils mieux ?
Parce qu’ils conçoivent leurs outils autour de l’usage réel, pas de la donnée : simplicité, rappels, pédagogie et intégration dans la vie quotidienne.
3. Les applications de santé sont-elles efficaces chez les enfants ?
Oui, mais de façon modeste. Elles améliorent l’activité physique globale, mais sans transformation durable. Le design et l’accompagnement humain sont déterminants.
4. Que change le PLFSS 2026 ?
Il introduit des parcours coordonnés de prévention, intégrant nutrition, activité physique et psychologie. C’est un pas majeur, à condition d’y associer une stratégie comportementale structurée.
5. Comment la France peut-elle combler le retard ?
En intégrant les sciences comportementales et les neurosciences dans le design de ses politiques numériques, pour transformer la prévention en expérience engageante et inclusive.
Bibliographie (sélection, 2022–2025)
- Lally P., Gardner B. (2022). Habit formation and health behaviour: Neuroscientific insights for public health. Health Psychology Review, 16(4), 567–586.
- Dolan P. et al. (2023). Behavioral public policy and health: Lessons from nudging and beyond. Behavioral Public Policy, Cambridge University Press.
- Lopez M. et al. (2023). Digital interventions for physical activity in children and adolescents: A systematic review and meta-analysis. JMIR mHealth and uHealth, 11(2), e51478.
- Zhang X. et al. (2024). Effectiveness of mobile health interventions on physical activity among youth: A meta-analysis. Frontiers in Public Health, 12, 1342590.
- Lee SA. et al. (2025). Standalone vs hybrid digital behaviour change interventions: What drives sustained engagement? Nature Digital Medicine, 8(1), 45–59.
- OECD Health Division. (2024). Digital Health in Europe: Comparative insights on adoption and impact. Paris: OECD Publishing.