Cet article est une contribution de Marie-Laure Mourre, présentée à la 1re Journée de recherche en sciences de gestion sur les changements comportementaux, organisée par l’Institut du Marketing Social. Nous la remercions.
Augmentation des co-morbidités malgré les campagnes de prévention
La comorbidité, définie comme la présence simultanée de deux ou plusieurs troubles médicaux distincts chez un individu, connaît une croissance à l’échelle mondiale notamment sous l’effet du vieillissement de la population (Gold & Büla, 2016).
L’exemple du tabac est un bon indicateur de ce paradoxe : malgré les multiples campagnes de sensibilisation, le tabagisme chez les individus atteints de diabète (Durlach et al., 2022) persiste.
Cette constatation incite à une réévaluation critique des processus de formation des comportements de santé dans leur contexte social. La transmission d’informations seule ne suffit pas à induire un changement.
Les défis spécifiques du sevrage tabagique chez les diabétiques nécessitent donc des interventions novatrices, mais les résultats de recherche sur ces prises en charge sont divergents (Canga et al., 2000; Katsaounou et al., 2019; Sawicki et al., 1993), soulignant le besoin urgent de mieux comprendre ces populations pour élaborer des interventions efficaces.
Les travaux présentés ici cherchent donc à répondre à une question : est-il possible d’élaborer un cadre d’intervention en marketing social spécifiquement conçu pour traiter les situations de comorbidité ?
Impact du markerting social en santé et dans la prise en charge des co-morbidités
Bien que le marketing social ait démontré son efficacité dans la modification des comportements liés à la santé, il se concentre généralement sur un problème spécifique à la fois, ne prenant pas pleinement en compte la nature complexe des comorbidités et limitant nécessairement l’efficacité des interventions de prévention.
Résultats de l’étude
12 personnes, six fumeurs « à risque » en situation de pré-diabète et six fumeurs déjà diagnostiqués diabétiques ont été interrogées via des entretiens et une méthodologie d’analyse phénoménologique interprétative (IPA).
Les résultats de l’étude montrent que :
- Il persiste une méconnaissance des liens entre tabac et diabète, malgré la connaissance des méfaits spécifiques de chaque situation considérée isolément et les campagnes de prévention.
- Il conviendrait de privilégier une approche différenciée selon les profils. 4 profils semblent se distinguer pour élaborer des cadres d’intervention.
Figure 1 : Cadre d’intervention de marketing social en fonction du niveau de littératie et d’autonomisation des patients (Mourre, 2024)
- Faible niveau de littératie, fort niveau d’autonomisation : on peut qualifier ces individus de patients autonomes dangereux. Pour les personnes appartenant à cette catégorie, la priorité est de renforcer leurs connaissances et leurs compétences, en tirant parti de leur volonté et de leur efficacité personnelle. Le développement de leurs capacités apparaît comme un levier puissant pour encourager l’adoption de comportements appropriés (Dietscher et al., 2021).
- Faible niveau de littératie, faible niveau d’autonomisation : ce sont des patients vulnérables et difficiles à atteindre. Ce groupe pose des défis uniques, nécessitant des stratégies de sensibilisation proactives (Bonevski et al., 2014). La création d‘opportunités pour s’engager avec eux apparaît comme le moyen le plus efficace de faciliter l’adoption de comportements appropriés. Ces opportunités englobent les influences interpersonnelles, les indices sociaux, les normes culturelles et les facteurs environnementaux, notamment le temps, les ressources et les lieux.
- Fort niveau de littératie, faible niveau d’autonomisation : ce sont des patients dépendants des professionnels de santé. Les individus de cette catégorie possèdent les compétences et les connaissances requises, mais peuvent avoir du mal à les traduire en comportements efficaces en raison d’un manque d’autonomie et de motivation. L’encouragement à l’action et à la motivation doit être l’objectif principal (Williams et al., 2002).
- Un niveau élevé de littératie en matière de santé, un niveau élevé de d’autonomisation : ces personnes sont bien placées pour gérer efficacement leur santé et peuvent être considérées comme des patients autonomes efficaces. Toutefois, il convient d’être vigilant pour actualiser en permanence leur niveau de connaissances et ajuster leur niveau d’autonomisation en fonction des besoins.
Bibliographie
Bonevski, B., Randell, M., Paul, C., Chapman, K., Twyman, L., Bryant, J., Brozek, I., & Hughes, C. (2014). Reaching the hard-to-reach : A systematic review of strategies for improving health and medical research with socially disadvantaged groups. BMC Med. Res. Methodol, 14, 42. https://doi.org/10.1186/1471-2288-14-42
Canga, N., Irala, J., Vara, E., Duaso, M. J., Ferrer, A., & Martínez-González, M. A. (2000). Intervention study for smoking cessation in diabetic patients : A randomized controlled trial in both clinical and primary care settings. Diabetes Care, 23, 1455‑1460. https://doi.org/10.2337/diacare.23.10.1455
Dietscher, C., Le, C., Arriaga, M., Schaeffer, D., Drapkina, O., & Gani, S. (2021). Policy recommendations for improving health literacy : Based on European Health Literacy Survey 2019. Eur. J. Public Health, 31, 164‑498.
Durlach, V., Vergès, B., Al-Salameh, A., Bahougne, T., Benzerouk, F., Berlin, I., Clair, C., Mansourati, J., Rouland, A., Thomas, D., Thuillier, P., Tramunt, B., & Le Faou, A.-L. (2022). Smoking and diabetes interplay : A comprehensive review and joint statement. Diabetes Metab, 48, 101370. https://doi.org/10.1016/j.diabet.2022.101370
Gold, G., & Büla, C. (2016). Le siècle des comorbidités. Revue Medicale Suisse, 12(538), 1891.
Katsaounou, P., Korkotzelou, A., Driva, M., Schoretsaniti, S., Barbaressou, Z., Osarogue, A., Saltiagianni, V., Vasileiou, V., Gyftopoulos, S., Tentolouris, N., & Tonstad, S. (2019). Smoking cessation in diabetic patients. Tob. Induc. Dis, 17. https://doi.org/10.18332/tid/111604
Mourre, M. L. (2024). Le marketing social comme levier d’intervention dans les cas de comorbidité en santé. In 40ème Congrès de l’Association Française de Marketing.
Sawicki, P. T., Didjurgeit, U., Mülhauser, I., & Berger, M. (1993). Behaviour therapy versus doctor’s anti‐smoking advice in diabetic patients. J. Intern. Med, 234, 407‑409. https://doi.org/10.1111/j.1365-2796.1993.tb00763.x
Williams, G. G., Gagné, M., Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2002). Facilitating autonomous motivation for smoking cessation. Health Psychol, 21, 40‑50. https://doi.org/10.1037/0278-6133.21.1.40