Alors que le Gouvernement a publié La Stratégie nationale Maladies Neurodégénératives 2025-2030, le constat est sans détour : la recherche avance plus vite que la prévention.
L’Europe investit massivement dans l’innovation médicale, mais trop peu dans le design des comportements protecteurs – alors même que 40 % des cas pourraient être retardés ou évités selon The Lancet Public Health (2024).
Les rapports mettent en lumière :
- une hausse rapide de la prévalence liée au vieillissement (près de 15 millions d’Européens touchés d’ici 2040) ;
- une inégalité majeure d’accès au diagnostic et à la prise en charge ;
- un sous-investissement structurel dans la prévention primaire et secondaire ;
- et la nécessité d’intégrer la santé numérique et les sciences du comportement dans les stratégies de santé publique.
Le rapport reconnaît les avancées biotechnologiques (biomarqueurs, IA, nouveaux traitements), mais souligne un paradoxe : les progrès médicaux ne compensent pas le retard dans l’action sur les comportements et les environnements à risque (activité physique, nutrition, stimulation cognitive, inclusion sociale).
Une Europe à deux vitesses
Les écarts de diagnostic et de prise en charge se creusent.
- Le délai moyen de diagnostic d’Alzheimer varie de 6 mois en Finlande à plus de 3 ans en Europe du Sud.
- L’accès aux soins cognitifs spécialisés reste très inégal : un tiers des pays européens n’ont pas de plan national dédié.
- Le financement des thérapies non pharmacologiques (activité physique, orthophonie, stimulation cognitive) reste marginal.
Les pays nordiques et les Pays-Bas se distinguent par une approche intégrée : prévention populationnelle, détection précoce et accompagnement numérique.
A contrario, les pays du sud et de l’est de l’Europe concentrent encore leurs efforts sur le soin curatif, avec des résultats inégaux et une charge sociale croissante.
L’angle mort : le comportement
Le rapport souligne que les déterminants comportementaux (alimentation, activité, sommeil, isolement, exposition cognitive) influencent jusqu’à un tiers du risque de démence.
Pourtant, la prévention reste centrée sur la “conscience du risque” plutôt que sur l’architecture des choix.
Les neurosciences comportementales rappellent que l’information seule ne modifie pas les habitudes : le cerveau privilégie la gratification immédiate, la routine et l’économie d’effort.
C’est pourquoi les interventions qui réussissent sont celles qui simplifient l’action : marche quotidienne encadrée, rappels numériques, micro-objectifs personnalisés, engagement collectif.
Les initiatives scandinaves comme BrainHealth DK ou Muistiaktiivi FI démontrent que les outils numériques peuvent stimuler la plasticité cognitive s’ils sont intégrés à des parcours humains et motivants, non utilisés en autonomie.
Le numérique : catalyseur ou illusion ?
La santé numérique promet de détecter, suivre et stimuler.
Mais son efficacité dépend de la motivation comportementale et de la simplicité d’usage.
Les dispositifs connectés, applications et IA prédictives se multiplient, mais peu d’entre eux atteignent la population la plus vulnérable : les personnes âgées peu technophiles, souvent isolées.
Une étude publiée dans Nature Digital Medicine (2024) montre que moins de 25 % des seniors continuent d’utiliser un dispositif de suivi cognitif six mois après l’installation.
Le numérique n’est donc pas la solution en soi ; il est le levier d’un environnement favorable, à condition d’y intégrer accompagnement humain, réassurance et gratification émotionnelle.
Vers une stratégie européenne de la cognition durable
L’avenir de la lutte contre les maladies neurodégénératives passe par une triple mutation :
- Intégrer les interventions comportementales dans les parcours de santé dès l’âge moyen ;
- Investir dans la littératie cognitive : comprendre le cerveau, ses biais et ses leviers ;
- Créer des écosystèmes cognitifs favorables : villes “brain friendly”, design sensoriel, politiques de mobilité et d’apprentissage continu.
Conclusion
La science progresse, mais la société n’a pas encore intégré la révolution cognitive.
Pour que les politiques de santé gagnent en efficacité, elles doivent s’appuyer sur les sciences du comportement, les neurosciences sociales et la conception d’environnements facilitateurs.
Autrement dit : il est temps de passer de la prévention cognitive à la prévention comportementale des maladies du cerveau.
Bibliographie (2022–2025)
- OECD (2025). Addressing Neurodegenerative Diseases in Europe: Gaps and Future Directions. OECD Health Policy Studies.
- Livingston G. et al. (2024). Dementia prevention, intervention, and care: 2024 update. The Lancet Public Health, 9(1), e23–e46.
- Kivipelto M. et al. (2023). The FINGER model for brain health: evidence and implementation. Nature Reviews Neurology, 19(3), 175–188.
- Anderson P. et al. (2024). Digital cognitive training adherence among older adults: a meta-analysis. Nature Digital Medicine, 7(1), 84–92.
- WHO Europe (2023). Blueprint for Brain Health Promotion in Ageing Societies. Copenhagen: WHO Regional Office for Europe.
- Calvert G. et al. (2024). Behavioral design for cognitive health: integrating nudges into aging policy. BMJ Public Health, 8(2), 220–229



