Changer les comportements alimentaires : ETP et techniques motivationnelles doivent être généralisés

Le rôle de l’alimentation pour prévenir les maladies ainsi que pour aider à limiter les risques d’aggravation et de récidive n’est plus à démontrer. Reste aujourd’hui à réussir à transformer les comportements alimentaires. Une tâche ardue lorsque l’on connaît l’attachement des Français à leurs habitudes alimentaires. Entretien avec Florence Thorez, Diététicienne Nutritionniste, sur les changements de comportement santé en matière d’alimentation.


Diététicienne Nutritionniste libérale dans le 13e arrondissement de Paris. Florence Thorez enseigne également aux jeunes qui préparent le diplôme de diététicien. Parallèlement, elle anime régulièrement des ateliers auprès de différentes populations (diabétiques, retraités, personnes précaires) en présentiel comme en distanciel et participe au développement de la CPTS (Communauté Professionnelle territoriale de Santé) à Paris dans le 13e où elle est en charge des projets innovants.



Que pouvez-vous nous dire des comportements santé des Français en matière d’alimentation ? 

En France, comme en Europe, depuis plusieurs années, des programmes sont mis en place par les pouvoirs publics (PNNS 4 chez nous, Europe de la santé au niveau européen) dans l’objectif d’améliorer la santé des citoyens. Les Français prennent de plus en plus conscience du rôle important de l’alimentation, notamment en matière de santé. Toutefois, cette prise de conscience se fait sur fond de méfiance, aussi bien vis à vis des industriels que des pouvoirs publics depuis la crise de la vache folle, en 1990.

Cette crise a en effet été suivie de plusieurs autres événements qui ont marqué les français : grippe aviaire en 2003, graines germées contaminées en 2011, scandale de la viande chevaline en 2013, Bisphénol A en 2015.

Cette inquiétude vis-à-vis de la santé se traduit par une demande accrue d’informations : le consommateur veut savoir ce qu’il mange pour bien ou mieux se nourrir en utilisant des applications (YUKA), en s’appuyant sur le Nutriscore présent sur de nombreux emballages ou en regardant certaines émissions de télévision présentées par des médecins.

Le revers de la médaille pourrait être le trouble que vivent nos concitoyens, avec l’impression de recevoir des informations contradictoires et d’une « cacophonie » alimentaire. Selon une récente étude du Credoc, 74 % des Français pensent qu’il existe des risques alimentaires contre 55 % en 1995.

Les périodes de confinement de 2020 ont donné lieu à une fréquentation des circuits courts, une augmentation d’une certaine sobriété sur le plan de la consommation et au « fait maison ». Il semble évident que ces tendances ne feront que se confirmer, notamment pour des raisons économiques.

Quel rôle peut jouer l’alimentation pour éviter l’apparition de la maladie ? Une fois que la maladie est déclarée ? 

Prévenir l’apparition de maladies

Afin d’éviter l’apparition de maladies, on parle de prévention « primaire ». Celle-ci, selon la définition de l’OMS désigne l’ensemble des actes destinés à diminuer l’incidence d’une maladie ou d’un problème de santé. En agissant en amont, avant l’apparition de la maladie et de ses symptômes, cette prévention permet d’éviter l’apparition de la maladie. Elle utilise l’éducation pour la santé, la promotion de la santé et l’information auprès de la population. En France, le PNNS 4 – Programme National Nutrition Santé (créé en 2001) et le plan obésité illustrent bien le rôle de l’alimentation en prévention primaire.

Prévenir de futures complications et séquelles, limiter les incapacités et éviter le décès.

Une fois la maladie déclarée, on parle de prévention « secondaire ». Toujours selon l’OMS, la prévention « secondaire » a pour but de déceler, à un stade précoce, des maladies qui n’ont pas pu être évitées par la prévention primaire. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère aussi la prévention secondaire comme nécessaire pour prévenir de futures complications et séquelles, limiter les incapacités et éviter le décès. Elle comprend tous les actes destinés à ralentir ou arrêter la progression de la maladie.

Ainsi, la prévention primaire d’adressera aux citoyens, tandis que la prévention secondaire s’adressera plutôt à l’individu à risque chez qui on évitera la progression de la pathologie et des lésions. Compte tenu de l’augmentation des maladies chroniques, pour lesquelles la prévention secondaire est primordiale, l’ETP (Education Thérapeutique du Patient) se développe. 

L’importance de l’ETP

Selon la définition du rapport OMS-Europe publié en 1996, l’éducation thérapeutique du patient « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie.

Ceci pour les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre leur maladie et leur traitement, à collaborer ensemble et à assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, pour les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie. » On voit bien se dessiner dans ce cadre la place de l’alimentation.

Quels sont les critères d’un accompagnement de qualité en matière d’alimentation et de santé ?

Un accompagnement de qualité, dans l’objectif d’améliorer des comportements de santé de façon durable se doit d’être centré sur la personne. La recrudescence des maladies chroniques (diabète, cholestérol, Sclérose en plaque) conduit les pouvoirs publics et les soignants à envisager les soins sur le long terme et par conséquent, à faire en sorte d’obtenir des changements de comportement de la part du patient pour qu’il devienne « acteur » de sa maladie.

Le gouvernement Français a d’ailleurs, dans la « Stratégie nationale de santé 2018-2022 » indiqué comme 1er objectif « promouvoir les comportements favorables à la santé ».

La manière dont les soignants vont parler avec leurs patients de leur santé peut significativement influencer leur motivation personnelle pour changer de comportement.

C’est pourquoi de plus en plus de soignants se forment, que ce soit à l’entretien motivationnel (EM, développé dans les années 1980 par les psychologues William Miller et Stephen Rollnick) ou à la thérapie ACT (Acceptation and Commitment Therapy ) qui est une thérapie dont le modèle a été développé par Steven C. Hayes (Université du Nevada), Kelly Wilson  (Université du Mississipi) aux Etats-Unis et Russ Harris  en Australie.

Tout cela parce que, comme nous le disait déjà Pascal dans ses Pensées : « On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres ».

Mieux manger est la préoccupation principale des Français, avec la reprise de l’activité physique. Pourtant, peu de Français arrivent à changer leurs comportements alimentaires dans la durée. Quelles sont les clés de la réussite ?

Que ce soit en matière d’équilibre alimentaire ou d’activité physique, le plaisir est certainement la clef de la réussite pour pouvoir inscrire des changements de comportement dans la durée.

En matière alimentaire, en effet, 3 besoins fondamentaux de l’être humain (biologique, psychologique et social) sont comblés dès lors que l’acte alimentaire permet de se nourrir (besoin biologique) mais aussi de se réjouir (besoin psychologique) et de se réunir (besoin social). La dimension psychologique (le plaisir) est particulièrement importante pour nos concitoyens, qui l’associent généralement à la notion de goût et à la convivialité. Même si l’importance accordée à la santé progresse, le plaisir à table n’est jamais très loin.

Pour ce qui est de l’activité sportive, là encore, le plaisir est au cœur du sujet :  l’activité physique augmente la production de tryptophane, substance impliquée dans la production de la dopamine. La dopamine va stimuler le système nerveux, nous apportant du tonus, un sentiment de satisfaction et de bien-être.

L’association des deux, alimentation équilibrée et activité physique régulière, vont enclencher un cercle vertueux qui pourra s’inscrire dans la durée.

Vous avez participé à la publication d’études sur la prise en charge préventive, avec le service Vivoptim notamment. Quelles sont les principales conclusions de ces travaux ? 

Le service Vivoptim a été développé en 2015 (NDRL : il a été étendu depuis pour couvrir la majorité des risques santé en 2021) parce que les maladies cardio-vasculaires sont l’une des principales causes de mortalité, et qu’une proportion importante de décès pourrait être évitée. Il est basé d’une part sur une prise en charge individualisée et pluriprofessionnelle (médecins mais aussi infirmières, diététiciens ou enseignant d’activité physique adaptée) et d’autre part sur la hiérarchisation des facteurs de risque cardio-vasculaires individuels.

Entre novembre 2015 et juin 2016, les personnes éligibles (âgées de 30 à 70 ans) de deux régions de France ont été invitées. Basé sur le score de risque de Framingham, les volontaires ont été assignés à l’un des trois niveaux de risque cardiovasculaire.

Le projet comprenait quatre volets : une évaluation du risque cardiovasculaire, une information sur les maladies et les facteurs de risque cardiovasculaires, un coaching personnalisé (séances téléphoniques, fixation des objectifs de santé individuels, surveillance des progrès et motivation des participants) et un suivi e-Santé.

Grâce aux résultats positifs du projet pilote sur le poids, le tabagisme, la pression artérielle et l’activité physique, Vivoptim a été étendu à la France entière en 2018. Il a le potentiel d’avoir un fort impact sur les soins et sur l’organisation du système de santé.

Pour consulter la publication scientifique :

Une nouvelle approche personnalisée de prévention cardiovasculaire : le programme VIVOPTIM

Jacques Blacher, Virginie Femery, Florence Thorez, Philippe Sosner, Alain Dibie, Bruno Pavy, Philippe Beaunier, Jean-Michel Chabot, Mickaël Benzaqui, Robin Ohannessian, Marcel Garnier, Anne Dubois, Corinne Isnard-Bagnis, Isabelle Durand-Zaleski