Le sujet de la fiscalité comportementale revient régulièrement sur le tapis, notamment en matière d’alimentation. A l’occasion de la parution d’une nouvelle étude sur les incitations financières et l’observance médicamenteuse, nous vous proposons un comparatif des résultats obtenus. Principaux enseignements : adhérence et efficacité sont souvent confondues. D’autre part, la formation de l’habitude et sa neuroplastie sont encore mal comprises.
Incitations financières : un effet réel jusqu’à l’arrêt, mais dérisoire cliniquement
Une méta-analyse publiée dans Diabetes Therapy (Winberg et al., 2025) portant sur 22 essais randomisés (plus de 12 000 patients diabétiques) montre que les incitations financières augmentent significativement l’adhésion (Cohen’s d ≈ 0,03, p < 0,01).
Autrement dit : les participants prennent plus souvent leurs médicaments… mais la différence clinique est quasi nulle.
Dans les maladies cardiovasculaires, les essais confirment cette tendance : une étude américaine sur les statines (JAMA, 2024) a observé une hausse de l’adhésion de +15 %, sans amélioration du LDL-C à 12 mois.
D’autre part, les effets sur la prise de médicaments semblent s’estomper dès l’arrêt de l’incitation financière (étude BETTER-BP (Behavioral Economics Trial To Enhance Regulator of Blood Pressure, 2025).
Coté santé mentale, les incitations financières ne font pas mieux, avec un arrêt de l’adhésion à 2 semaines.
Les seules situations où l’effet reste massif concernent les addictions.
Une méta-analyse (Addiction, 2024, N = 27 845) indique que les récompenses financières doublent les chances d’abstinence (OR = 1,93 ; p < 0,001).
Mais ces effets chutent dès la fin du programme : au bout de 3 mois, 70 % des participants rechutent.
En résumé :
| Contexte | Effet observé | Impact clinique |
| Diabète (Winberg, 2025) | Cohen’s d ≈ 0,03 (p < 0,01) | Faible |
| Statines (JAMA, 2024) | +15 % adhésion | Aucun effet LDL-C |
| Addictions (Addiction, 2024) | OR = 1,93 (p < 0,001) | Fort, mais non durable |
Le biais de gratifcation différée (Dolan et al., Behavioral Public Policy, 2023) lié aux incitations financières ne fonctionne donc que sur une courte période.
Santé numérique : efficace, mais inconstante
La santé numérique a fait mieux, mais pas partout.
Une méta-analyse de 2024 (JMIR mHealth and uHealth, N = 92 686) montre que les interventions numériques (télé-suivi, mHealth, objets connectés) ont entraîné une baisse moyenne de la pression artérielle systolique de −4,2 mmHg et une amélioration significative de l’adhésion médicamenteuse.
Autres données :
- Chez les femmes enceintes sous supplémentation en fer, les apps de suivi ont multiplié par 4 l’adhésion (OR = 4,07 ; Frontiers in Medicine, 2024).
- Pour les risques cardiovasculaires globaux, l’effet est modéré : perte moyenne de 0,66 kg et baisse du BMI de 0,25 (Annals of Behavioral Medicine, 2024).
Bilan comparatif :
| Domaine | Type d’intervention | Effet moyen | Commentaire |
| Hypertension | Apps/télé-suivi | −4,2 mmHg | Effet significatif |
| Grossesse (fer) | Apps mHealth | OR = 4,07 (p < 0,01) | Effet fort |
| Facteurs CV (général) | Programmes numériques | −0,66 kg / −0,25 BMI | Effet modéré |
Toutefois, lorsque l’on analyse les effets dans le temps, seule une minorité d’utilisateurs reste active après 6 mois.
Une étude longitudinale (Nature Digital Medicine, 2024) montre que seuls 23 % des seniors continuent à utiliser leur app cognitive après six mois, et que l’engagement quotidien chute de 60 % après trois semaines.
Le numérique seul, sans intervention humaine, stimule l’attention et la curiosité, mais rarement la plasticité comportementale.
L’effet “nouveauté” active le circuit dopaminergique transitoirement, sans consolidation corticale : le cerveau « s’intéresse » avant d’adopter.
Adhérence ≠ efficacité : une confusion systémique dans l’évaluation des interventions santé
Les données récentes montrent que l’augmentation de l’adhérence médicamenteuse ne garantit pas une amélioration des résultats cliniques — un biais structurel dans la conception des interventions en santé numérique et comportementale.
Autrement dit, les patients suivent mieux les prescriptions — ou déclarent le faire — sans que leur santé en tire un bénéfice proportionnel.
Les neurosciences comportementales expliquent cette dissociation : la récompense ou le rappel renforce le comportement de conformité, mais pas nécessairement les processus physiologiques sous-jacents (auto-régulation, adaptation du mode de vie, gestion du stress).
Comme le rappelle un éditorial de The Lancet Public Health (Livingston et al., 2024), « mesurer l’adhérence n’est pas mesurer la santé ».
Incitations + santé numérique : un duo encore à l’état de promesse
Les combinaisons des deux approches restent peu étudiées.
Une étude pilote (JMIR Mental Health, 2023) sur une app de suivi psychiatrique couplée à des incitations financières a montré un engagement élevé (+40 %), mais aucune différence significative d’adhésion médicamenteuse (n = 25).
Les incitations et le numérique s’additionnent sur le plan de la motivation initiale, pas sur la durabilité.
Pour expliquer ce phénomène, les neurosciences proposent un cadre :
- L’incitation monétaire agit sur la motivation extrinsèque.
- L’app numérique fournit un feedback cognitif.
Mais aucun des deux n’active la boucle émotionnelle et sociale (système limbique + cortex préfrontal médian) nécessaire à la formation d’habitudes.
Coté neurosciences et psychologie sociale
- Les comportements ne sont pas linéaires.
L’adhésion médicamenteuse est un indicateur de conformité, pas de transformation de style de vie. - Les signaux de récompense sont éphémères.
Sans intégration dans un contexte de sens ou d’appartenance, le cerveau ne consolide pas le comportement. - Le numérique fatigue.
Les études longitudinales confirment une “fatigue d’usage” dès 4 à 6 semaines, liée à la surcharge cognitive et à l’absence de gratification émotionnelle. - L’environnement reste déterminant.
Même une app performante ne compense pas un contexte de stress, d’isolement ou de contraintes socio-économiques (Calvert et al., BMJ Public Health, 2024).
Quelles perspectives concrètes ?
1. Du stimulus à la structure.
Les politiques de santé doivent combiner incitations, feedbacks numériques et design environnemental.
Les expériences de nudging santé au Danemark montrent que les incitations couplées à des rappels comportementaux simples augmentent de 45 % la persistance d’usage (OECD Health Policy Review, 2024).
2. Repenser la motivation.
Les récompenses financières devraient être remplacées par des systèmes de micro-renforcements sociaux et émotionnels (feedback, reconnaissance, appartenance).
C’est ce qui explique le succès des programmes finlandais de prévention cardiovasculaire (FINGER 2.0, Nature Rev Neurology, 2023).
3. Investir dans la neuro-intervention numérique.
Les interventions qui combinent stimulation cognitive, activité physique et interaction sociale en ligne montrent les gains les plus solides :
- +0,18 SD de mémoire de travail,
- −6,3 mmHg de pression systolique,
- et maintien de l’adhésion > 12 mois (Nature Digital Medicine, 2025).
Conclusion
Les données des trois dernières années convergent :
- Les incitations financières augmentent l’adhésion (d ≈ 0,03) mais n’améliorent pas la santé.
- Le numérique santé réduit certains indicateurs (−4 mmHg, −0,6 kg) mais s’épuise avec le temps.
- Leur combinaison stimule l’engagement initial, sans effet clinique prouvé.
La clé n’est donc ni dans l’argent ni dans l’écran, mais dans la neuro-architecture du comportement : la capacité à transformer la motivation instantanée en habitude stable, grâce à un design comportemental intégré, personnalisé et socialement ancré.
Bibliographie
- Winberg D. et al. (2025). Evaluating Financial Incentives for Type 2 Diabetes – Systematic Review. Diabetes Therapy, 16(3), 527-545.
- Wang Y. et al. (2024). Financial Incentives for Viral Hepatitis Control. Frontiers in Public Health, 12, 1394164.
- Siersbaek R. et al. (2024). Why Financial Incentives Help People Stop Smoking. BMC Public Health, 24, 500.
- She Q. et al. (2024). eHealth Interventions for Cardiovascular Adherence. JMIR mHealth and uHealth, 12(7), e58013.
- Zhang X. et al. (2024). Digital Interventions for Risk Factors of CVD. Annals of Behavioral Medicine, 78(4), 560-573.
- Anderson P. et al. (2024). Digital Cognitive Training Adherence among Older Adults. Nature Digital Medicine, 7(1), 84-92.
- Calvert G. et al. (2024). Behavioral Design for Health. BMJ Public Health, 8(2), 220-229.
- OECD (2024). Health Policy Review – Behavioral Insights in Digital Health. Paris.
- Voir également notre article sur la fiscalité comportementale



